Petite précision : j’ai choisi comme époque le 13ème siècle, plutôt fin du 13ème qui est, à mon sens, le moment le plus représentatif de cette Planche. Nous sommes, aujourd’hui, en loge - chambre ou cayenne de Compagnons, 2ème degré de notre rite R.E.A.A et recherchons, dans ce travail, les relations avec les Compagnons bâtisseurs de cathédrale se réunissant dans leur loge, sur le chantier opératif.
Pour définir ces trois mots : loge - cathédrale - bâtisseurs -
Et, enfin, les conclusions qui seront comme les trois degrés de la Franc-maçonnerie :
Apprendre – Comprendre – Transmettre
La légende des Compagnons, tailleur de pierre, fait remonter le début de l’organisation ouvrière au temps de la construction du Temple de Salomon.
Une hiérarchie était reconnue en trois degrés ; le passage d’un degré à l’autre se faisait dans un souterrain, par une cérémonie d’initiation et un mot de passe pour accéder à chaque degré, afin d’en conserver le secret.
Au 6ème siècle après J.C., l’empire romain s’effondre, les collégiales ouvrières des tailleurs de pierre perdent leurs riches clients.
Les congrégations religieuses chrétiennes créent, à l’intérieur des couvents, des coopératives de productions qui sont nécessaires à leur besoin.
La construction de bâtiments religieux se développe et emploie des bâtisseurs organisés.
Il faut des couvents, des monastères, des églises pour la religion qui se développe.
Les Bénédictins donnent priorité aux travaux manuels et ainsi, moines et laïcs,
d’une connaissance hors du commun, construisent les églises en style roman ;
construction massive, laissant passer peu de lumière.
Les premières croisades ramenaient, avec elles, quelques bâtisseurs de fortins, de châteaux forts et défenses militaires, pontiers et autres spécialistes.
Ces professionnels du bâtiment étaient employés par les Templiers, les Hospitaliers, les Chevaliers Teutons.
Jusqu’à ce que SAINT BERNARD fit adopter à ses moines bâtisseurs les 7 vertus antiques des arts libéraux :
La grammaire - la rhétorique - la dialectique - l’arithmétique -l’astronomie - la géométrie - la musique -
Dont la synthèse en résume l’Art Royal.
Ces bâtisseurs étaient nommés en Congrégation du Saint Devoir de Dieu et comprenaient des ouvriers pour les travaux du génie militaire - carriers - charpentiers et tailleurs de pierre.
C’est à l’Abbaye de Fontenay qu’ils étaient formés à la géométrie et l’arithmétique, pour élaborer les épures nécessaires à la construction.
C’était la science du trait.
La peur de l’An Mil est passée.
Les invasions barbares sont terminées.
Avec l’amélioration du matériel agricole, la production augmente ; les diocèses
s’enrichissent ; l’impôt rapporte beaucoup d’argent et les Evêques mettent en chantier des cathédrales avec, pour objet, le développement du style gothique.
Fabuleuses épopées où sont construites, en France, sur deux siècles, 80
cathédrales et 500 grandes églises
Ces chantiers énormes demandent une main d’oeuvre considérable qui se doit
d’avoir une organisation exceptionnelle :
Les confréries s’organisent.
Les oeuvriers se déplacent d’un chantier à l’autre et voyagent du nord au sud, de l’occident à l’orient ; ils couvrent ainsi toute l’Europe.
Ils obtiennent leur franchise de l’impôt au Seigneur local car, ils avaient le
monopole de la construction des édifices religieux.
Leur immunité fit qu’on les nommât MAÇONS FRANCS.
De ce fait, ils furent obligés d’ériger leur propre loi, en délimitant leurs droits et
leurs devoirs.
Saint-Louis demande à son prévôt des marchands, Etienne BOILEAU, de rédiger le livre des mestiers dont le titre 8 concerne les maçons et les tailleurs de pierre dont les libertés et droits sont garantis par écrit.
En 1250, à Strasbourg, la 1ère assemblée de maçons constructeurs a lieu en
présence du Roi.
Les compagnons tailleur de pierre se groupent en confraternité de Saint-Jean.
Peut-être est-ce l’origine d’une question posée à l’entrée de nos Temples :
« D’où viens tu ?
D’une loge de Saint Jean » !!!!!
Les Evêques deviennent très puissants et s’entendent avec le Roi de France pour construire, bien souvent, sur le domaine royal.
Tout cela, avec la bénédiction des papes successifs qui voient leur emprise, sur
les pouvoirs terrestres, augmenter.
La bourgeoisie des villes se développe car les seigneurs sont partis à la guerre.
Dorénavant, le clergé est nommé par le pape et non plus par les Grands issus de la terre.
Avec l’avènement du gothique, les murs s’élèvent et les tours s’ornent de flèches si hautes qu’elles semblent toucher le ciel, siège de Dieu, pour lequel elles sont bâties.
C’est une impression d’élévation de l’esprit qui se dégage à l’intérieur.
Avec les vitraux colorés, les peintures, la lumière, tout est poussé pour exacerber la foi des fidèles.
La beauté est à l’intérieur du bâtiment et non plus à l’extérieur.
C’est, aussi, un moyen de montrer la puissance du clergé.
A cette époque, la société bouge, se développe à une allure vertigineuse.
Tout concourt à faire progresser le savoir et la connaissance, encore limités à peu de gens.
Mais, l’artisanat et les artistes sont portés à leur plus haut niveau.
Lorsque le Maître d’Ouvrage, c’est-à-dire celui qui commande, avait accepté le
projet proposé par le Maître Architecte, les travaux étaient commencés sur le lieu choisi.
En général sur l’emplacement même d’une ancienne église ou d’un lieu déjà
consacré.
Il fallait montrer à l’Evêque voisin que cette nouvelle construction serait plus
vaste, plus haute, mieux décorée que la sienne.
Un chantier de constructeur, depuis toujours, possède un endroit seulement couvert d’une bâche, qui sert à travailler pour se protéger des intempéries.
Puis, il devient un bâtiment simple où les ouvriers remisent leurs outils, à la fin de la journée.
Au 13ème siècle, chaque corporation à sa loge, proche de l’édifice.
Les maçons tailleur de pierre y rangeaient maillets et ciseaux, compas, règles, fils à plomb, équerres, perçoirs, cordages, auges, vilebrequins, poulies, etc ….
Puis, cet endroit servait de réfectoire et de chambre où le maître tailleur dormait avec ses Compagnons.
A d’autres moments, le Maître donnait l’enseignement aux Compagnons et eux mêmes éduquaient les Apprentis.
Chaque catégorie, chaque classe d’oeuvriers avait son enseignement particulier.
Dans la loge, le maître du chantier, le chef de chantier dirions nous aujourd’hui,
était choisi parmi les meilleurs Compagnon et servait de lien entre les oeuvriers et le Maître d’oeuvre.
C’est l’endroit où était tracé, à même le sol ou sur une planche saupoudrée de
sable ou de chaux, l’épure de la pièce à tailler.
La planche tracée, une fois comprise par le Compagnon, était effacée et remplacée par un gabarit en bois ; celui-ci partait à la carrière pour permettre de débiter et tailler la pierre, afin d’avoir moins de poids à transporter.
C’était le travail des Apprentis d’être dans la carrière à tailler la pierre brute.
Cette pierre était ramenée sur le chantier pour être ciselée ou sculptée, puis
insérée dans l’édifice en construction.
Le soir venu, les Apprentis suivaient l’enseignement, les cours du soir en quelque sorte.
C’était l’apprentissage de tous les outils du chantier ; ce qui leur permettaient de réaliser un travail suffisamment soigné pour avoir accès au titre de Compagnon.
Son travail accepté, il était reçu Compagnon en passant une cérémonie initiatique, au sein même de la loge et recevait un nouveau mot de passe et un nom compagnonnique qui lui permettrait de participer à l’enseignement réservé aux Compagnons.
A partir du moment où il devenait Compagnon maçon, il est maçon franc et libre de ses déplacements.
Son instruction devient de plus en plus ardue. On lui enseigne les arts libéraux
qui procèdent de la science pour être un érudit.
Il faut dire, qu’à cette époque, s’entrecroisaient les connaissances venues du
monde Sarazin, des musulmans et leurs secrets de construction.
Les moines revenaient de CORDOUE où ils avaient rencontré les philosophes,
AVERROES - MAÏMONIDE, qui participaient à une ouverture de l’esprit des
érudits dont l’un d’eux disait :
« La liberté vient de la connaissance du monde. Le vécu et l’expérience
sont incommunicables mais peuvent être enseignés par l’exemple. »
Dans la loge, oeuvriers et artisans se regroupaient en association professionnelle pour défendre leurs droits et pratiquer la solidarité.
La maçonnerie opérative s’est organisée en divers groupements : les mestiers -
confréries ou guildes.
Le compagnonnage s’y développait rapidement en organisation avec ses règles et ses devoirs bien définis, avec son rite particulier pour le maintien des traditions et les secrets attenants au corps de métier.
Ils ont une solide morale où le temporel et le spirituel sont liés.
Cette fraternité de métier fait que les artisans compagnons renommés viennent
et traversent toute l’Europe.
Ils s’échangent leurs secrets de construction pourvu qu’ils se soient reconnus entre eux. Ce secret était gardé par serment prêté au cours de réunions spécifiques dans la loge, sur le livre de leur règle.
La construction devient savante, intelligente et humaine, grâce à ce mélange et ce partage du savoir. Mais intransmissible aux non initiés.
Le bâtisseur fait confiance à ses connaissances et non plus aux pouvoirs divins.
Le maçon règle tous ses problèmes techniques, rencontrés sur le chantier, grâce à son expérience et aux outils dont il se sert.
Les gens du bâtiment, ainsi organisés, sont les créateurs du compagnonnage tel
que nous le concevons aujourd’hui, sur le plan opératif du moins.
C’est une société initiatique d’apprentissage du métier et de solidarité, gardiens
des secrets de construction et de la tradition venue de la nuit des temps.
En plus de la construction des cathédrales, ils apprennent à construire l’homme
tel qu’il l’idéalise.
C’est au 13ème siècle que les Compagnons se scindent en trois sociétés :
1. Celle des enfants de Salomon
2. Celle des enfants de Maître Jacques
3. Et celle des enfants du Père Soubise
Chacun a sa spécificité, laïc ou religieuse ; chacun utilise un argot spécifique, des pratiques rituelles initiatiques, plus ou moins secrètes, se rattachant à un passé mythique ou biblique.
Avec pour objectif :
Les loges originelles deviennent des « cayennes » où les Compagnons sont amenés à vivre en communauté.
Tout compagnon du Tour de France ou du Devoir doit, au moins une fois
dans sa vie, faire un pèlerinage à La Sainte Baume, grotte où vécu Marie
Madeleine après avoir évangélisé la Provence.
Elle devient patronne des Compagnons et se retrouve symbolisée par « la Mère » ou « Dame Hôtesse » dans chaque cayenne.
D’ailleurs, chaque métier était sous la protection d’un Saint Patron.
Nous avons vu que le Maître d’ouvrage est celui qui commande les travaux.
Le Maître d’oeuvre est celui qui réalise le projet. Pour cela, il fait appel à un Maître qui à la compétence totale de son art, de son métier. Ceci sur la base d’un contrat dûment établi.
Dans notre cas, le Maître Maçon, appelé également « Appareilleur », dirige les Apprentis et les Compagnons.
Il avait charge d’embaucher les manoeuvriers, les non spécialisés, pour les travaux d’approvisionnement, travaux préparatoires ou de logistique.
Le Maître d’oeuvre est un intellectuel, passé maître dans la réflexion, la connaissance de l’art et peut concevoir le travail réalisé en totalité, avant la fin des travaux.
Il se réfère à un livre du métier, sorte de règlement où tout est consigné. C’est leur livre sacré qui régit toute l’organisation professionnelle et sociale.
Associé à ce que nous appellerions : un Architecte.
Il se nomme MAGISTER OPERARIUM ou MAGISTER DIXIT ce qui veut dire : une fois que le Maître a parlé, on se tait !
L’ancêtre, peut-être, de notre : « J’ai dit » !!!
Il n’y avait pas de diplôme d’architecte mais, il était choisi par l’Evêque pour sa renommé, son savoir, sa philosophie.
Néanmoins, on disait alors : « l’Art sans la science n’est rien ».
Le clergé considérait que la beauté pure de l’artisan artiste n’était due qu’à
l’Architecte suprême divin, Dieu lui-même.
Aujourd’hui, peut être le plus connu de cette époque fut VILLARD DE HONNECOURT qui se déplace dans toute l’Europe, en fonction des ouvertures et fermetures de chantier. Il va là où on le demande.
Il nous a laissé ses croquis et son célèbre carnet où sont décrits, sous forme symbolique, les figures géométriques servant à apprendre la géométrie d’une manière originale et mémo technique.
L’art de la géométrie était considéré comme référence fondamentale où s’effectuaient les démarches morales, intellectuelles et spirituelles.
En assimilant la raison, l’intuition, l’imaginaire, la philosophie et la symbolique.
C’est la science qui représente le mieux le monde, la façon de se le représenter sous une forme virtuelle.
Un peu plus tard, dans les manuscrits REGIUS et COOKE, toutes les sciences y sont contenues, définit comme art de mesurer toute chose sur la terre et au ciel.
Reprenons cette maxime de PLATON, dont nous nous servons encore aujourd’hui :
« Nul de peut entrer ici s’il n’est Géomètre »
Après le 15ème siècle, les loges firent entrer des hommes n’appartenant pas au métier de la pierre en devenant des Maçons acceptés.
Ceci est le début de la Franc-Maçonnerie spéculative qui prit son envol en Angleterre et en Ecosse, au 18ème siècle.
Nous avons vu comment fonctionne une loge de tailleur de pierre, bâtisseur de
cathédrale au 13ème siècle.
Voyons maintenant une loge symbolique de Franc-maçonnerie du 21ème siècle.
Pour moi, la filiation est évidente bien que le temps et l’évolution de la société,
surtout au 18ème siècle, ont permis des variations tellement énormes que, pour
certains, cette filiation ne serait que pure fantaisie ; Et pourtant !
Nous utilisons le même langage, les mêmes outils et le symbolisme s’y trouve à
l’aise.
Notre loge est dite : « Loge bleue »
Les Compagnons tailleur de pierre disaient à leurs Apprentis qu’ils ne pouvaient pas dépasser l’azur et que leur couleur serait le bleu.
On dit souvent Temple au lieu de Loge et inversement.
Ces deux termes n’ont pas la même signification :
1. Le Temple est un lieu sacralisé pour un temps déterminé qui représente
le monde dans lequel on se déplace et où l’on vit, sacralisé par la magie
d’un rituel ou d’une cérémonie.
Ensuite il redevient banal.
2. La loge est un groupe d’individus, rassemblé au même moment, au même
endroit et travaille ensemble avec un rituel prévu et se pare d’un titre
distinctif.
On y prodigue et pratique un enseignement progressif par degrés successifs à
l’aide de symboles et de rituels qu’il faut vivre pour les découvrir.
Ses membres oeuvrent pour le progrès de l’homme, la recherche de la vérité en restant adogmatique. Il s’y pratique la solidarité, sous forme de fraternité.
Loin d’avoir pu retracer, avec exactitude, une loge de tailleur de pierre, il m’a fallu imaginer plus que décrire.
Pour avoir voyagé dans l’Abbaye de FONTENAY, visité le chantier de GUEDELON et ressenti l’étude de la géométrie sacrée dans le chapitre de l’Abbaye de BOSCODON, je puis dire que malgré les évolutions techniques, matérielles ou autres, je m’y retrouve en travaillant au 2ème degré du R.E.A.A.
La tradition du bâtisseur est respectée pourvu qu’on la comprenne.
Il n’y a pas de travail manuel sans travail intellectuel.
Celui qui pratique les deux connaîtra l’équilibre parfait de la nature humaine.
Ajouter a cela une valeur spirituelle et l’on s’approchera, petit à petit, de cette vérité que nous cherchons.
En tant qu’artisan menuisier et artiste verrier, je me sens dans mon élément à chaque fois que je pénètre dans un lieu aussi puissant qu’une cathédrale.
Elle vibre, elle vit, elle attire ou plutôt, elle aspire. Tout est fait pour élever son esprit en son plus haut sommet.
Il n’est pas nécessaire d’avoir la foi pour le ressentir, seulement un peu de sensibilité et d’âme.
Personnellement, je suis en osmose avec tous ces artisans Compagnons et Maîtres qui ont tout donné pour se réaliser au plus profond d’eux même.
Comme dans ma loge, c’est une machine à transformer l’homme pour le transcender, petit à petit.
D’une pierre brute, le chemin est long pour parvenir à une pierre taillée. C’est ce chemin, ce voyage initiatique qu’il faut vivre en présence d’un guide, qui lui a la connaissance totale que nous cherchons.
Les Compagnons n’étaient pas forcément croyants pour réaliser les chefs d’oeuvre qu’ils ont faits. Leur croyance était dans le dépassement de soi même pour accéder à un niveau supérieur et s’élever sans cesse, jusqu’à l’idéalisation de sa propre construction.
C'est ce que j’ai essayé de faire aujourd’hui.
Pour l’heure, il est temps de conclure : « Gloire au Travail ».
MP
Grand Val
23/12/2010